Parce que Sylvain est un homme qui respire l'air des sommets et qu'il joue, naturellement, comme il respire...Parce que Sylvain offre des paysages, tantôt sereins et profonds, tantôt mouvementés et indomptables, et qu'ils nous font faire des voyages extraordinairement sensible... Parce que Sylvain est envoûté et envoûtant, nous avions choisi de le faire figurer dans le premier numéro de French Guitare. C'était il y a un peu plus de deux ans, maintenant; Thomas Dutronc avait rencontré Sylvain Luc et de cet interview se dégageait une impression de mouvement, de vie et de passion pour la musique -sous toutes ses formes, à travers toutes les cultures.

" La musique est un jeu, une passion, une affaire d'émotions sincères; la musique est un partage, elle ne doit pas partager les gens" C'est ainsi que Sylvain clôturait l'interview. L’inconnu, l'improvisation totale, la rencontre avec d'autres musiciens, sont autant de conditions à réunir pour que Sylvain se sente au meilleur de ce que l'on peut appeler "la création spontanée"

Depuis, nous avons eu l'occasion de croiser Sylvain et sa musique tout d'abord, l'an dernier, au Sunset à Paris, lorsqu'il a investi le club de la rue des Lombards avec une kyrielle d'invités, dont Bireli Lagrène; et tout dernièrement, pendant le salon Musicora, où Sylvain était sur le stand des amplis AER (voir article dans ce numéro) pour des démos qui ont attiré bien des oreilles curieuses Il nous importait donc de connaître l'actualité et le futur proche de ce guitariste atypique. Au moment où ce numéro paraîtra, Sylvain se sera présenté en duo avec le trompettiste et joueur de bugle Stéphane Belmondo, pour une soirée fêtant la sortie de leur album en duo, dans le club-restaurant "Le Réservoir", dans le Xie arrondissement de Paris Duo intriguant, tant il est vrai que la formule guitare-bugle ne s'entend que très rarement "La première fois que j'ai joué avec Stéphane Belmondo, c'était il y a trois ou quatre ans Maria Rodriguez, la programmatrice du "Baiser Salé", avait eu l'idée d'organiser notre rencontre à l'occasion d'un duo Sans nous connaître, sans aucune concertation préalable, nous nous sommes retrouvés le soir du concert dans une situation d'improvisation totale ! D'autres concerts, dans d'autres clubs, s'en suivirent, en procédant toujours de cette façon, c'est à dire dans l'urgence et sans répétition aucune jusqu'au jour où nous avons eu envie d'enregistrer! "

Nos deux compères se sont donc retrouvés dans l'un des studios d'enregistrement de I'IRCAM, pendant le mois de février dernier, pour que le disque" Ameskeri" (rêve ou songe, en basque) puisse sortir aux alentours du 10 mai "J'ai abordé l'enregistrement dans le même état d'esprit que "Piaia", mon premier album solo (Transat/Night & Day), c'est à dire le plus simple qui soit on s'installe et on joue point !

La petite différence avec "Piaia" est due au fait j'ai inclus dans ce disque deux thèmes inspirés du folklore basque, que je possédais antérieurement. Tout le reste est de la pure improvisation même si, par moments, certaines citations pointent le bout de leur nez Je fais allusion à "Ménilmontant", par exemple, qui se trouve cité, puis développé au hasard d'une envolée musicale En tout cas, aucun thème n'est issu des standards de Jazz américain et ça, j'en sui assez fier !"

Pour Sylvain, tout ce qui est inscrit sur la bande de l'enregistrement, est régi par la même conception "Nous partons tous les deux du principe que l'on doit faire une musique "sur place" et donc cela doit être un bonheur absolu puisque, sinon, il ne se passe rien! Je suis également persuadé qu'il se serait passé la même chose si nous n'avions pas eu l'occasion de jouer en club ensemble auparavant". Tout se passe donc en live les guitares, cordes Nylon ou acier, sont branchées directement sur la console, et deux micros Neuemann restituent l'ambiance et la chaleur des échanges entre la guitare et le bugle. C'est le label spécialisé Shaï qui a décidé de produire "Ameskeri", sur une proposition de Stéphane Belmondo, qui avait déjà réalisé un premier disque chez eux. Le duo tient à rester une formule exceptionnelle, voire confidentielle Et même s'il est programmé dans divers festivals, Sylvain et Stéphane entendent préserver la qualité de spontanéité de leurs concerts. "Nous voulons absolument garder une certaine fraîcheur et il hors de question pour nous de tenter de restituer ce qui a été fait sur disque, puisqu'il s'agit d'improvisations. À chaque fois, il faut que ce soit quelque chose de nouveau"

Autres temps, autres rencontres en juin prochain, le Lucky Luc des studios enregistrera un nouvel opus avec Bireli Lagrène, pour Dreyfuss Jazz Encore une fois, c'est une formule de duo "Pour moi, Bireli est une de mes rencontres guitaristiques majeures Au départ, je n'osais pas même l'aborder! Et puis, il y a deux ans, alors que j'étais en pleine tournée avec Jonasz, j'ai lu une de ses interviews, dans French Guitare justement, où il me faisait compliment, d'une certaine façon, il a même dit des choses très gentilles sur moi! J'aurais dû le contacter, mais je n'ai pas osé À la fin de la tournée, je me suis "Allez, j'appelle André Céccarelli, il me donnera les coordonnées de Bireli" Je l'ai d'abord remercié de ce qu'il avait dit de moi dans ce fameux interview Aussitôt dit, il me branche pour venir jouer chez lui en Alsace ! L’osmose s'est donc faite tout de suite et dès ce premier coup de téléphone, j'avais l'impression qu'on se connaissait déjà depuis longtemps !

C'est quelque chose de fabuleux, pour moi qui ai tant d'admiration pour le musicien Bireli Et encore une fois, avec lui, c'est toujours l'impro, avec la même fougue, le même esprit d'urgence musicale éberluée rien n'est "travaillé", au sens scolaire ou fastidieux du terme, l'aspect ludique est omniprésent" Sylvain l'affirme son travail quotidien ne consiste pas systématique en un labeur guitaro-maniaque de haute voltige "En fait, mon travail se fait un peu dans tous les sens C'est, tout d'abord, prendre le temps, et c'est un luxe, d'écouter de la musique Je me tiens au courant de tout ce qui se fait dans le domaine du Rock, de la Pop, du Jazz, de la World, etc...

La musique classique tient également une place importante dans mes écoutes; en ce moment j'ai un certain goût pour Fauré et Ravel Ah oui! Dutilleux aussi, pour sa dernière œuvre sublime! Dans un avenir proche, je compte m'intéresser sérieusement à l'orchestration et à l'instrumentation Je considère, d'ailleurs, depuis quelques années ma guitare comme un petit orchestre ou un quatuor à cordes C'est surtout un outil sensé traduire les émotions que je ressens dans le meilleur des cas.

Il est certain que Sylvain Luc a développé un jeu de guitare solo qui dessine des polyphonies extravagantes, jeu servi par une main droite à la technique classique très affirmée, très personnelle au service de sa musique. "En fait. mon jeu de main droite est issu de plusieurs techniques classiques, car chacun sait que la technique classique varie selon les professeurs! Moi, j'ai trouvé mon truc Pour tout dire, je ne suis pas un fou du répertoire classique à la guitare Je vais me faire beaucoup d'ennemis, sans doutes (rires) mais je trouve réellement anecdotique, en regard du répertoire du piano, du violon ou du violoncelle, que j'ai pratiqué pendant dix ans C'est peut-être la raison pour laquelle j'ai toujours eu l'impression d'avoir pratiqué la guitare classique un peu "en touriste", même si j'estime avoir poussé les choses assez loin tout de même. Je connais, c'est tout. Ma culture vient surtout du bal, du Rock, des bœufs avec mes frangins, qui sont tous musiciens, ou même du folklore basque et de la valse musette, en passant par la chanson -Brel, Piaf -, et maintenant Django, que j'ai découvert bien après tout ça. J'y retrouve une identité certaine, une identité très forte, qui semble m'entourer depuis toujours. Dans mon jeu, aujourd'hui, je tiens à préserver l'intuition; je ne veux pas trop réfléchir mais traduire au plus juste les idées qui m'arrivent sur le moment Dans ce sens, je suis peut-être un jazzman, par amour de l'improvisation ..."

Hervé Legeay
Source : Fench Guitare Septembre / 1999